Hello les sages,
Édition n°2 de Omage sur la couleur. Un thème qui me tient particulièrement à cœur, car j’ai eu une révélation personnelle sur l’absence de couleur dans ma vie.
Un matin, il y a à peu près un an, j’ai eu comme un choc, une prise de conscience soudaine en voyant l’état de ma garde robe. Elle était si terne, si noire. Ce n’était pourtant pas le cas avant. Qu’est ce qu’il s’était passé ?
Quelques semaines plus tard, je suis tombé sur des graphiques sur la couleur en scrollant sur Twitter et là, j’ai compris. Mes choix n’étaient en fait pas mes choix. Mon intention vis-à-vis de la couleur s’était fait dissoudre dans quelque chose qui me dépassait complètement : une évolution sociétale.
C’est parti pour l’enquête sur la disparition de Madame Couleur 🔎
Je ne voudrais pas vous faire paniquer, mais la couleur a disparu. On la cherche désespérément depuis de longues années. Si jamais vous la croisez, faites nous savoir s’il vous plaît. On aimerait bien la retrouver assez rapidement, parce que c’est pas foufou sans elle.
Le déclin de la couleur
Ce n’est pas moi qui le dit.
Les statistiques sont criantes.
Ça, c’est l’évolution de la couleur observée sur 7000 objets du quotidien depuis 1800. Le noir et blanc est passé de 20% à 40% entre 1980 et aujourd’hui. On voit aussi que les couleurs chaleureuses que sont le jaune, rouge et orange s’éteignent comme des flammes alors que le bleu prend de l’ampleur.
Et ça, c’est les couleurs des bagnoles de 1990 à 2020. Là aussi, le noir/blanc/gris a pris 20 points pour passer d’un peu plus de 50 à 70% du marché automobile alors que le vert a quasiment disparu.
Bien que cette tendance soit constante depuis le début du 20ème siècle, mon excellent sens de l’observation tient à vous faire remarquer que l’on constate une aggravation du phénomène à partir des années 1980.
Et il s’est passé quoi dans les années 1980 ? Oui Miss Granger, l’accélération de la mondialisation. 10 points pour Gryffondor !
La couleur ça divise. Le noir et blanc, ça fait l’unanimité.
C’est aussi simple que ça. Quand les entreprises fabriquaient des produits pour une localité spécifique, elles n’hésitaient pas à utiliser de la couleur. Vendre des produits en Provence passe par l’utilisation de couleurs chaudes et solaires comme l’orange, le beige, l’azur, le lavande. Par contre, comment choisir la couleur d’un produit qu’on va vendre aussi bien en Pologne, en Algérie, au Cambodge, en Islande et au Mexique ? Quand le client peut être n’importe qui sur n’importe quelle partie du globe, l’entreprise va logiquement prendre le moins de risques et opter pour la neutralité du noir/gris/blanc.
Le bleu est la seule couleur qui résiste. Pensez au nombres d’entreprises qui utilisent le bleu comme logo, notamment dans la tech. C’est la couleur la plus inclusive, la plus “positive”, qui inspire le plus confiance et qui est aussi la moins imbibée de sens. Elle est parfaite pour accompagner du noir/gris/blanc.
Ça ne s’arrête pas aux objets. Regardez comment les gens s’habillent autour de vous. À Paris en hiver, c’est flagrant. On a du noir (beaucouuup de noir) avec des touches de blanc, gris, un peu de beige/marron et du bleu foncé. Vous avez là 80-90% de la grade robe des franciliens.
Why do we care, très cher ?
Et bien tout simplement parce que ça nous rend peut-être un peu dépressifs, non ?
Personne n’en est responsable, soyons clair. Personne ne nous manipule. Ce n’est pas forcément mauvais ou intentionné. C’est juste une évolution naturelle dans un monde de plus en plus mondialisé et connecté. On a tendance à lisser la différence. C’est le cas des objets, des vêtements, mais pas que. L’architecture en pâtit aussi. Où que vous soyez sur le globe, les nouveaux bâtiments qui sortent de terre se ressemblent quand même pas mal.
Cette standardisation et ce nivellement vers le gris fait partie de notre réalité, c’est indéniable. Couplée au minimalisme accru, nous tendons vers une esthétique aseptisée où l’élégance l’emporte sur l’éclat. Et c’est pratique, car le noir/blanc/gris va avec tout. Avoir du goût, c’est savoir doser la couleur.
Ça ne parait pas très grave, mais manquer de couleur dans sa vie et être entouré de noirceur et de grisaille que ce soit dans le ciel, les bâtiments, les gens, ses objets et soi même, ça nous impacte mentalement.
La couleur joue un rôle prépondérant sur notre comportement et nos humeurs. Des études en psychologie de la couleur ont révélé des résultats surprenants :
Équiper les lampadaires d'un quartier avec de la lumière bleue réduit significativement le taux de criminalité et de suicide
Exposer des détenus à la couleur rose réduit leur agressivité
Plus il y a de mauve dans une chambre à coucher, plus il y a plus de rapports sexuels (3,49 par semaine), suivi par le rouge (3,18 rapports), puis le blanc (2,02 rapports) et le beige (1,97 rapport)
S’affranchir de la couleur revient donc à oblitérer certaines émotions. On tend vers une harmonisation du comportement humain pour ne pas exprimer ou ressentir ce qui est moins accepté socialement. La fin du rouge est très parlante à ce niveau, vu la diabolisation contemporaine de la colère.
Voyons la vie en couleur
Osons la couleur - tout simplement. La couleur, c’est la vie. C’est l’expression de la nature et de la lumière. Se débarasser de la couleur, c’est se débarasser d’une partie de notre humanité.
Alors oui, c’est aussi renforcer ou réintroduire certaines émotions, mais ça veut également dire les accepter et ne pas les refouler.
Si tu penses que c’est ton goût et que c’est juste que t’aimes le noir/blanc/beige/bleu foncé, réfléchis-y une seconde fois. Quelle était ta couleur préférée à 7 ans ? Sûrement une couleur que tu ne portes plus tant que ça.
L’évolution de la couleur est sociétale, pas personnelle.
Réintroduire de la couleur dans sa vie doit être intentionnel et conscient pour sa refamiliariser avec ses propres goûts. Des petits astuces pour commencer :
Change la coque et ton fond d’écran de téléphone. C’est un objet avec lequel tu entres beaucoup en contact.
Prends en compte la couleur comme critère d’achat et fais petit à petit évoluer ta garde robe et ta déco pour la rendre plus colorée.
Remarque la couleur, notamment dans la nature. Regarde les fleurs, les variations du ciel, les teintes de vert. Absorbe toute la couleur naturelle que tu peux.
Mon petit favori perso : achète un autocollant arc en ciel. T’as juste à la coller sur une fenêtre et il va remplir ta pièce d’arc en ciels et donc de couleurs dès qu’il y a du soleil. C’est ma-gique ✨
Il n’y a rien de fondamental à faire en vrai. Il suffit d’être conscient de la disparition de la couleur, garder ça en tête et tendre vers une réintroduction de la couleur dans nos vies.
Après, chacun ses couleurs. Moi en ce moment mon kif c’est l’arc en ciel, le violet et le jaune. Ce n’est pas être girly ou manquer de style. Faire la paix avec la couleur est au contraire un processus d’intégration de son humanité, un pas de plus vers la complétude et l’expression authentique de soi.