“Deux de tes personnalités sont en conflit.”
Ce n’était pas la première fois qu’on me disait ça et pourtant, comme à chaque fois, ça me faisait tout drôle. On m’a formulé ce type de remarque de différente manière à travers les années :
“Ton autre personnalité ressort.”
“Il faut que tu réconcilies tes paradoxes.”
“Tu es un caméléon.”
La seule chose qui ne changeait pas, c’était ma réaction.
Je ne trouvais pas ça normal. Est-ce que quelque chose cloche chez moi ? Est-ce que je suis schizophrène ? Pourquoi est-ce que j’ai plusieurs personnalités et pas une seule, bien définie, bien alignée ?
Le “parts work”
Il y a quelques mois, j’ai découvert un type de thérapie : l’IFS (pour Internal Family Systems) qu’on appelle aussi “Parts work”.
La thèse principale de l’IFS, c’est qu’on est tous constitués de sous-personnalités (parts de nous). Chacune de ces personnalités a ses propres convictions, besoins et manières d’opérer. Naturellement, comme au sein d’un groupe d’humains, ces personnalités peuvent rentrer en conflict si leurs intérêts divergent.
Déjà, bonne nouvelle : je ne suis pas le seul dans ce cas.
C’est même une caractéristique naturelle de l’être humain. Mel, de la newsletter “With love, Mel” que j’adore, a d’ailleurs rapporté une histoire dans son récent article sur le parts work :
“On m'a raconté l’histoire d'un randonneur qui s'est perdu dans la nature sauvage canadienne.
Pendant de longues semaines, il n'a pas vu un seul être humain. Plus le temps passait, plus des voix dans sa tête se manifestaient, commençant à se parler à haute voix entre elles.
Il a raconté plus tard aux journalistes que c'était intéressant de les voir toutes prendre forme.
Il a pu identifier les personnalités et les particularités distinctes de chacune. Elles ont pris place pour combler sa solitude ; pour la première fois de sa vie, il avait de longues conversations animées avec soi-même.
Puis, il a été secouru. Et alors qu'il réintégrait lentement la société normale, tout cela a disparu.”
Vous voyez le dessin animé Vice-versa ? C’est un peu ça, mais avec des personnalités.
Le prisme des personnalités
Ça m’a tout de suite rappelé un événement.
J’avais identifié deux personnalités en moi depuis des années croyant d’ailleurs que c’était les seules composant ma psyché (cf mon article sur le soi).
L’été dernier, alors que je passait une semaine seul à la montagne dans les Alpes, le dialogue entre ces deux personnalités s’est renforcé.
C’était une semaine un peu spéciale pendant laquelle j’avais décidé de ne pas lire, écouter de la musique ou regarder les écrans. Juste de la rando et de l’écriture.
Au milieu de cette isolation, plus que jamais, deux voix résonnaient dans ma tête : l’une stricte et l’une fofolle. Un peu comme une partie “adulte responsable” et une partie “gamin déjanté”. La première voulait que je suive les règles que je m’étais fixé pendant la semaine. La deuxième aimait beaucoup sa liberté et voulait kiffer.
Il y a notamment eu un moment marquant et franchement assez marrant pendant cette semaine.
Alors que j’essayais de dormir, la voix déjantée était hyper bruyante et mes pensées filaient à toute vitesse. La voix adulte, qui jusqu’à présent essayait de contrôler l’autre, en a eu marre et lui dit : “écoute, fais ce que tu veux”.
La réaction dans mon cerveau fut immédiate. C’était le carnaval de Rio. Ma partie enfant s’est mise à danser, à chanter. Je ressentais un espèce de feu d’artifice, de joie et de célébration totale. Ça a duré pendant bien 10-20 minutes. Mon autre voix adulte était en mode “haha, ok, profite, exprime toi à fond”.
Cette anecdote illustre bien ce qui peut se passer dans un moment d’isolation, de solitude et de silence, quand le dialogue interne prend place.
Le “volume” du dialogue interne peut être plus ou moins fort. Plus vous êtes enclin à l’introspection et plus vous passez de temps seul, plus les voix seront fortes.
Ce n’est pas forcément une “mauvaise” chose. Dans un processus d’introspection, le haut volume du dialogue met en lumière nos dynamiques internes pour pouvoir les addresser. Si le volume est trop faible, on a pas idée de ce qui se passe en soi.
L’agora interne
Le problème, c’est le conflit. Quand deux voix sont en conflit, c’est invivable. Le conflit interne est l’une des sources principale de souffrance psychologique.
C’est pourquoi toutes les choses qui renforcent notre conflit interne (faire des choses qu’on ne veut pas vraiment faire, ne pas s’écouter, se mentir à soi-même) sont profondément destructrices.
Pour réconcilier les conflits, un ami m’a parlé d’un exercice qu’il utilise. Appelons le Jacques. Il a identifié plusieurs Jacques en lui correspondant à plusieurs moments de sa vie : le Jacques de 5 ans, le Jacques de 12 ans, le Jacques de 18 ans, le Jacques de 23 ans et le Jacques de 30 ans. Ce qu’il fait, c’est qu’il leur donne méthodiquement la parole lorsqu’il doit prendre des décisions importantes. Il s’assure ainsi que chaque partie est entendue lors de son processus décisionnel. Un peu comme un assemblée citoyenne.
Ça m’a fasciné.
Un autre ami, pendant un trajet en voiture, m’a parlé de l’amphithéâtre psychologique : un outil en psycho, inspiré des archétypes de Jung, pour reconnaître, mettre en scène, donner de la voix et identifier les mécanismes de nos sous-personnalités.
Tout ça m’a donné envie de faire un peu de parts work de mon côté, à ma manière.
J’ai ouvert une page Notion et j’ai commencé à listé toutes mes personnalités.
Pendant plusieurs jours, j’ai itéré sur cette liste. Voici ce qu’elle a donné à la fin :
Ce n’était pas un exercice facile. Vous pouvez le voir en lisant, il y a des phrases clivantes, des parties de moi dont je ne suis pas nécessairement fier.
Pourtant, voir la réalité objective de ce qui se passe en moi me rend plus lucide : quand je réagis d’une manière parfois surprenante, ce n’est pas nécessairement “moi”. C’est une partie de moi qui réagit. Elle est en souffrance et a besoin de s’exprimer. Elle est tout simplement.
Chacune de ces parties vient d’une source :
un événement traumatique ou marquant
un besoin psychologique ou physiologique naturel
l’inconscient collectif (nos conditionnements sociaux qui nous tirent dans une direction)
Elles ont toutes une raison légitime d’exister.
Les reconnaître est un premier pas vers la guérison.
Les écouter et les valoriser en est un deuxième.
Le troisième est de les harmoniser. Ce qu’on appelle aussi l’intégration (intégrer nos différentes parties en un seule partie harmonieuse).
Une étape qu’il me tarde de franchir et de vous raconter dans une autre édition d’Omage.
Aller plus loin
Une introduction à l’Internal Family Systems par son fondateur le Dr. Richard Schwartz
Une vidéo plus facile à suivre sur l’IFS
Un podcast avec le Dr. Richard Schwartz
Comprendre les archétypes de Jung en quelques minutes
Une vidéo plus poussée des archétypes de Jung
🌞 Le poème du jour, bonjour 🌞
j’embrasse le temps
l’écume filante
les cristaux soyeux du passé
j’embrasse la nuit
l’époque fugace
les troubles fiévreux surpassés
j’embrasse les toits fendus de peur
les carapaces étanches d’étain
j’embrasse les rires couverts de pleurs
dans les espaces de mon destin
🌌 L’art du soir, bonsoir 🌌
🤔 Et toi, alors ? 🤔
Discutons-en en commentaire :
As-tu déjà identifié plusieurs sous-personnalités ?
Quelle est leur origine ?
Y-a-t-il eu des moments marquants pendant lesquels elles ont émergées ?
As-tu essayé l’IFS ?
As-tu déjà réussi à harmoniser tes sous-personnalités ?